Monitoring du fédéralisme

Rapport de monitoring 2017-2021

Tout comme la démocratie directe, le fédéralisme est intrinsèquement lié à la Suisse, à son histoire et à son organisation politique. Il ne s’agit pas d’un édifice entièrement terminé mais d’un système constamment à la recherche de nouveaux équilibres. Sa capacité à affronter des turbulences dépend de l’action concrète à tous les échelons institutionnels. Le fédéralisme a été mis à rude épreuve durant la pandémie de coronavirus. La crise constitue toutefois une chance de consolider les structures solidement établies.

Le rapport de monitoring 2017-2021 aborde cinq grands thèmes actuels (politique extérieure, numérisation, climat, santé et COVID-19) sous l’angle du fédéralisme. Il analyse également la collaboration entre cantons, celle avec la Confédération, la participation cantonale au processus de décision au niveau fédéral, la mise en œuvre du droit fédéral par les cantons et les transferts de compétences et de charges durant la période passée en revue. Cet examen permet de proposer des mesures concrètes pour faire avancer le fédéralisme.


L’essentiel en bref

Que faire concrètement ?

Des mesures concrètes d’amélioration sont régulièrement formulées dans les rapports de monitoring. L’avancement de leur mise en œuvre fait l’objet d’un suivi. Plusieurs domaines d’action ont été redéfinis à l’aune des constats tirés entre 2017 et 2021. L’accent devra être mis ces prochaines années sur les dossiers suivants :

  • La marge de manœuvre financière des cantons pourrait se rétracter à moyen et long terme, notamment à cause de hausses des dépenses dans les secteurs de la santé et des affaires sociales. Les cantons doivent donc, conjointement avec la Confédération, mettre sur pied un suivi de l’évolution des coûts. Objectifs : examiner de plus près la dynamique des coûts dans les principaux domaines de tâches à financement commun et identifier des schémas pour l’évolution des dépenses. Ces travaux permettront d’examiner en temps voulu des adaptations de la répartition des tâches entre Confédération et cantons.
     
  • L’arrêt des négociations sur un accord institutionnel avec l’Union européenne (UE) a placé les cantons devant de nouveaux défis. La Constitution leur garantit des droits de participation à la politique extérieure de la Confédération. Les décisions de politique européenne ont généralement des conséquences directes pour eux. Il est donc nécessaire d’entretenir et de renforcer la participation des cantons. Aussi ceux-ci doivent-ils être associés aux travaux et analyses de la Confédération visant à examiner les possibilités de donner une nouvelle assise aux relations avec l’UE. Le point de vue des cantons doit mieux être pris en compte. Il faut veiller à ce qu’ils soient bien informés de toutes les discussions avec les États membres et les autorités de l’Union européenne et mieux les associer aux structures d’un éventuel dialogue politique de la Confédération avec l’UE ainsi qu’aux futures négociations.
     
  • La crise liée au COVID-19 a écorné l’image du fédéralisme. Une tâche d’ampleur attend le monde politique : ces prochaines années, il faudra améliorer la perception du fédéralisme au sein de l’opinion publique et redonner confiance en ce système. La Fondation ch et la Conférence des gouvernements cantonaux s’engagent sur plusieurs fronts pour sensibiliser un large public au fédéralisme. Plusieurs groupes cibles sont visés, tels que les jeunes ou les journalistes. Les mesures concrètes passeront par divers canaux : sites internet, médias sociaux, séminaires, etc.

Thèmes actuels abordés sous l’angle du fédéralisme

Le rapport de monitoring 2017-2021 a été l’occasion de revenir sur plusieurs thématiques actuelles sous l’angle du fédéralisme.

1. La participation à la politique extérieure

Les négociations en vue d’un accord institutionnel avec l’Union européenne (UE) ont été le dossier majeur de politique extérieure durant la période sous revue. L’association des cantons par la Confédération à l’échelon politique s’est nettement améliorée au fil des pourparlers entre la Suisse et l’UE, même si les objections formulées à l’échelon technique n’ont pas toujours suscité l’attention qu’elles méritaient. La phase finale vient toutefois nuancer fortement ce bilan globalement positif : les cantons n’ont pas été consultés par le Conseil fédéral en novembre 2020 sur les points à clarifier et n’ont pas été impliqués ou informés de manière adéquate lors des discussions finales. Ils ont également été maintenus à l’écart de la décision du Conseil fédéral de mettre un terme aux négociations, contre laquelle ils avaient pris position. Le dossier européen mis à part, les cantons jugent leur participation à la politique extérieure satisfaisante. Ils estiment important de pouvoir s’exprimer au niveau politique sur un accord paraphé via une consultation ordinaire, même s’ils étaient associés au niveau technique aux négociations.

Annexe Politique extérieure

2. La numérisation

Le fédéralisme peut être un atout pour la Suisse si elle veut rattraper son retard en matière de transformation numérique de l’administration. La concurrence entre les acteurs institutionnels favorise les innovations et la recherche de solutions adaptées aux réalités et aux besoins locaux. Des solutions centralisées, si elles échouent, risquent en revanche de coûter cher à la Suisse. Un juste équilibre est à trouver ; la nouvelle Administration numérique suisse, qui facilite la coopération entre Confédération, cantons et communes, y contribuera. Son agenda doit permettre de mettre en œuvre des projets clés communs.

Annexe Numérisation

3. Le changement climatique

La lutte contre le réchauffement climatique et ses conséquences représente un défi, également du point de vue du fédéralisme. La question est complexe et les réponses sont diverses. De multiples domaines sont concernés, de la consommation d’énergie dans les bâtiments (compétence cantonale) aux transports ferroviaire et aérien (compétence fédérale), en passant par l’aménagement du territoire (compétence partagée). Les solutions à apporter impliquent une vision globale et transversale. Malgré plusieurs échecs dans les urnes, la Confédération et les cantons devront légiférer, chacun dans leur domaine mais non sans coordination.

Annexe Changement climatique

4. La santé publique

Le COVID-19 a tenu le haut du pavé ces deux dernières années en matière de santé publique. Les besoins de réformes ne manquent pour autant pas. La politique de la santé reste en premier lieu l’affaire des cantons. Mais ces derniers temps, ce rôle n’a pas été assez pris en considération. Les revendications et positions des cantons ont bien souvent été ignorées, tant par le Conseil fédéral que par l’administration et les Chambres fédérales. L’un des derniers exemples en date est l’intention du Conseil fédéral d’uniformiser davantage les exigences à respecter pour la planification des hôpitaux et des EMS et de fixer les mêmes tarifs sur l’ensemble du territoire pour les soins hospitaliers stationnaires. Les réformes ne peuvent être couronnées de succès que si elles bénéficient du soutien des cantons. Il convient d’en tenir compte, notamment en matière de financement uniforme des prestations ambulatoires et stationnaires. Les cantons ont par ailleurs un atout en main : ils peuvent renforcer leurs compétences en consolidant leur collaboration, comme c’est le cas pour la médecine hautement spécialisée.

­Annexe Santé publique

5. La crise liée au COVID-19

La pandémie de coronavirus a placé le fédéralisme devant un double défi. La Confédération et les cantons ont dû gérer une crise sans précédent depuis la seconde Guerre mondiale. Le système fédéral été capable d’assimiler la nouvelle donne. Des optimisations sont toutefois nécessaires dans certains domaines. La loi sur les épidémies (LEp) devra davantage expliciter la répartition des compétences et des tâches entre la Confédération et les cantons. À l’avenir, la gestion des crises aux trois niveaux de l’État devra être organisée de manière plus transsectorielle et plus anticipative et il conviendra de gagner en efficacité et en flexibilité. La Conférence des gouvernements cantonaux a apporté sa pierre à l’édifice en conduisant une analyse approfondie de la collaboration entre cantons et de la coopération avec la Confédération, publiée en mai 2022.

Rapport final sur la collaboration Confédération-cantons

 

La crise liée au COVID-19 a parallèlement écorné l’image du fédéralisme. Des expressions ont fait florès comme « patchwork réglementaire », « esprit de clocher » ou encore « cacophonie ». Une autre tâche d’ampleur attend dès lors les autorités : ces prochaines années, elles devront parvenir à améliorer la perception du fédéralisme au sein de l’opinion publique, et ainsi redonner confiance en ce système. Il s’agira de faire comprendre le rôle important joué par les structures fédérales, en temps normal comme en situation de crise.

Annexe Perception du fédéralisme pendant la pandémie

Le fédéralisme, une force d’innovation

Le fédéralisme permet de mettre au banc d’essai des solutions appliquées par les cantons, d’évaluer leurs chances d’aboutir ainsi que la manière de les mettre en pratique, de les adapter aux spécificités régionales et de les faire évoluer.

Exemple de cette fonction de laboratoire : la Suisse ne connaît pas de salaires minimaux hors ceux fixés par les partenaires sociaux dans les conventions collectives de travail (CCT). Cinq cantons les ont néanmoins introduits dans leur législation : Neuchâtel a fait œuvre de pionnier en 2017, suivi rapidement par le Jura, puis par le Tessin et Genève. Côté alémanique, Bâle-Ville a également décidé d’appliquer un salaire minimal. L’expérience faite dans ces cantons permettra d’en savoir plus sur l’impact d’un tel instrument sur le taux de chômage, l’égalité salariale et les dépenses de l’aide sociale ainsi que sur son utilité contre le dumping salarial.

La force d’innovation du fédéralisme s’est également manifestée lors de la crise liée au COVID-19. Les Grisons ont, par exemple, développé une stratégie de tests suivie avec intérêt dans le reste de la Suisse et qui a convaincu le Conseil fédéral. Zurich a pris les devants dans la collecte de données des passagers aériens en vue d’une éventuelle quarantaine et développé une procédure efficace, dont ont profité la Confédération et les autres cantons. Concernant les loyers commerciaux, un système incitatif s’est progressivement mis en place (d’abord à Genève, Bâle-Ville, Vaud, Neuchâtel, Fribourg et Soleure) en vue d’une prise en charge partielle par le canton si le bailleur renonce à réclamer une part du loyer.

Les cantons estiment que la Suisse tire grand profit de cette fonction de laboratoire. Ils craignent toutefois que la force d’innovation qui en résulte soit entravée par de fortes velléités centralisatrices dans les domaines de la fiscalité, du droit de l’aménagement du territoire et de l’environnement, de la santé ou de la protection des données.

Le droit fédéral est aussi l’affaire des cantons

Le droit fédéral n’est pas que l’affaire de la Confédération. Les cantons participent à son élaboration et assurent en principe sa mise en œuvre. Leurs prises de position dans le cadre des procédures de consultation n’ont aucun impact juridique contraignant ; néanmoins, la prise en compte de leurs avis est un « impératif politique ». Les cantons ont demandé à la Confédération de les associer suffisamment tôt aux processus et de coordonner l’application du droit fédéral avec les autorités cantonales.

Des mesures ont été prises il y a quelques années. Dans l’ensemble, les efforts conjoints de la Confédération et des cantons ont contribué à une meilleure prise en compte des questions de mise en œuvre et d’exécution lors de l’élaboration de la législation fédérale, comme le dévoile un premier bilan. Les cantons sont satisfaits de leur collaboration. Des améliorations n’en restent pas moins nécessaires. Il ressort du monitoring 2017-2021 que le législateur fédéral a introduit de nouvelles directives inutiles malgré l’autonomie incontestée des cantons en matière de mise en œuvre.

En outre, la pandémie de COVID-19 a mis en lumière plusieurs problèmes. En situation de crise, la législation est élaborée dans des conditions difficiles, ce qui augmente le risque d’erreurs et a entraîné des incertitudes et des pertes de temps pour  les cantons et les communes. Les processus législatifs doivent être optimisés afin d’associer les autorités responsables de l’exécution du droit même lorsque le temps presse. Les expériences et connaissances acquises aux échelons cantonal et communal doivent être directement intégrées.

Répartition des compétences, des tâches et des charges

Le fédéralisme repose sur une répartition des compétences entre la Confédération et les cantons clairement énoncée dans la Constitution fédérale. Les cantons sont compétents dans tous les domaines qui ne relèvent pas explicitement de la Confédération, qui est en outre tenue de respecter le principe de subsidiarité.

Dans la pratique, une tendance à la centralisation peut être parfois observée, par exemple dans les objets débattus aux Chambres fédérales, comme le montre l’analyse des interventions parlementaires. Cette tendance reste stable, voire en légère hausse par rapport au précédent monitoring. De l’avis des cantons, la dynamique serait claire dans un certain nombre de domaines :  justice et sécurité intérieure (en particulier dans le contexte européen), constructions, aménagement du territoire, transports, énergie et environnement, formation, culture et sport, économie, finances et fiscalité, santé et affaires sociales.

La centralisation rampante n’est pas le seul mouvement observé. Des transferts de charges s’opèrent au détriment des cantons et des communes. La densité réglementaire toujours plus élevée imposée par la Confédération entraîne parallèlement une augmentation des coûts pour les cantons. Résultat : des projets cantonaux sont abandonnés et des solutions centralisatrices mises en branle.

Bilan des collaborations

La collaboration entre cantons s’avère fructueuse. Passant par des conventions et des accords intercantonaux, elle leur permet de préserver et développer leur capacité d’action, d’améliorer l’accomplissement des tâches et d’anticiper de nouveaux transferts de pouvoir vers l’échelon fédéral. Autre avantage : la collaboration décuple la capacité à innover. Les conventions sont souvent mieux acceptées que les réglementations centralisées.

La collaboration intercantonale avec compensation des charges vise à résoudre le problème de l’inéquation possible entre territoire cantonal et prestation fournie. Les cantons qui recourent à un service proposé dans un autre canton doivent le cofinancer ; en contrepartie, ils se voient accorder des droits de participation aux décisions. Un premier bilan a été tiré. La collaboration intercantonale avec compensation des charges sera examinée plus en détail dans le cadre du prochain rapport d’évaluation de l’efficacité de la péréquation financière (2020-2025).

En ce qui concerne la collaboration avec la Confédération, les cantons citent plusieurs exemples positifs comme le droit sur les armes et la protection des données, la loi sur les produits chimiques, l’exécution des peines ou la révision de l’assurance invalidité. Les commentaires plutôt négatifs portent sur la répartition des tâches, l’assurance-maladie, la législation fédérale sur les autorisations de séjour, les constructions, l’environnement, l’énergie, les finances et la fiscalité. Les conventions-programmes n’ont soulevé aucun problème particulier durant la période sous revue.

Le fédéralisme : jurisprudence et littérature

Le fédéralisme est une réalité quotidienne en Suisse. Il se reflète dans la vie politique, sociale, économique ou judiciaire. L’Institut du Fédéralisme de l’Université de Fribourg a fourni deux analyses sur la jurisprudence du Tribunal fédéral, du Tribunal administratif fédéral et des tribunaux cantonaux ainsi que sur la perception du fédéralisme dans la littérature scientifique.

Analyse de la jurisprudence (en allemand)

Analyse de la littérature scientifique (en allemand)

 

 

 


Archives des rapports depuis 2005

Les rapports de monitoring réalisés depuis 2005 retracent l’évolution du fédéralisme.


Monitoring du fédéralisme 2012

Monitoring du fédéralisme 2011



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